Le programme B-21 Raider : armement stratégique ou institutionnel ?

Alain DE NEVE

Le B-21 Raider sera, à partir de 2030, le futur bombardier à long-rayon d’action dont se doteront les États-Unis afin de conserver leur supériorité militaire dans les airs. Le choix opéré par le Pentagone en faveur du développement et de la production d’un système de frappe destiné à succéder aux capacités existantes – vieillissantes pour certaines d’entre-elles – est le fruit d’un processus qui s’est avéré plus complexe qu’il n’y paraît. Certes, la production, aux États-Unis, d’une flotte de bombardiers représente d’une certaine façon l’un des traits spécifiques d’une culture stratégique obnubilée par la recherche d’une supériorité technique. Le B-21 Raider sera d’ailleurs appelé à opérer des missions particulièrement critiques dans des environnements d’intervention hautement hostiles. L’avance technologique de plusieurs générations dont profitera l’appareil en termes de furtivité et de défense électronique devra lui permettre de pénétrer les zones protégées par des systèmes de défense anti-aérienne de dernière génération. Au-delà de cet aspect, les informations relatives aux missions précises qui seront confiées au B-21 Raider demeurent parcellaires : dissuasion nucléaire, frappe dans la profondeur adverse, recherche de renseignement, attaque électronique figurent parmi les capacités les plus évoquées et les plus crédibles. Pourtant, des questions demeurent qui portent sur le mode de pilotage du système, le B-21 Raider étant envisagé dans un double-mode « pilotage direct » et « télé-pilotage ».

Aux qualités intrinsèques du B-21 Raider s’ajoutent les avantages externes précieux du programme pour le groupe industriel de défense auquel sera confié sa conception : Northrop Grumman. La maîtrise technique que suppose la confection d’un bombardier de nouvelle génération s’accompagnera d’une maîtrise des institutions chargées d’assurer la gestion du programme dans le temps. De nouvelles structures décisionnaires et administratives ont été développées qui marquent une rupture avec les processus qui existaient jusqu’alors. L’objectif de l’industriel est de disposer d’une relation directe avec les membres des chambres qui supervisent sur le plan politique la conduite du programme, à travers notamment une répartition géographique stratégique des entreprises désignées pour l’élaboration des sous-systèmes.

La question que nous poserons donc à travers ces pages peut être formulée comme suit : le B-21 Raider est-il l’instrument militaire d’une vision stratégique ou l’armement au service d’un verrouillage institutionnel des affaires de défense aux États-Unis ?

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